Yvan Hamel auteur

Yvan Hamel auteur

Extrait --- L'enfant-boeuf de la famille Leboeuf

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L’ACCOUCHEMENT DE FLORENTINE

ET LA MISE BAS D’ADÉLAÏDE

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Je remonte de ce pas assez loin dans le temps : jusqu’à la fin des années 50, c’est-à-dire à l’époque où j’ai vu le jour. Plus précisément un matin du mois de mai 1957.

 

L’événement s’est déroulé en même temps que la mise au monde de Jesse, le veau d’Adélaïde, qui était elle-même la vache préférée de mon père. Et quand je dis « en même temps », il faut prendre cette affirmation à la lettre : il est ici question d’à peine quelques secondes de différence, pas plus. Nos certificats de naissance respectifs l’attestent officiellement. Nous avons d’ailleurs poussé notre premier cri en parfaite harmonie, Jesse et moi, directement dans l’étable.

 

À propos, je suis né effectivement dans une étable. Dans le box mitoyen de celui de Jesse, qui plus est. Moins de trois mètres nous séparaient. De sorte que tous les gens présents et tous les animaux de la ferme ont entendu le magnifique accord en ré mineur de nos deux vagissements primaux à l’unisson.

 

On m’a raconté, en plus, que le soleil s’était levé pile à ce moment-là, et que les nuages multicolores avaient dessiné la silhouette d’une madone dans le ciel azuré au-dessus du champ de blé d’Inde derrière la maison. Je mentionne ce dernier détail – le profil vaporeux de la Vierge Marie dans le firmament –, car il est important. J’y referai allusion un peu plus tard.

 

Quelques minutes avant mon arrivée, et alors qu’il devenait de plus en plus manifeste que nos deux naissances, à Jesse et à moi, auraient lieu en même temps, mon père avait fait transférer ma mère d’urgence dans l’étable de façon à assister aux deux accouchements en simultané. Eh oui : comme il tenait mordicus à être témoin des deux événements en direct, il ne voulait manquer ni l’un ni l’autre. Encore heureux, dans ces conditions – que certains ont formulé par la suite –, qu’il n’ait pas décidé du contraire, c’est-à-dire d’avoir transporté Adélaïde dans la maison !

 

« — D’la paille, c’t’aussi confortable que d’la plume d’oie », avait-il décrété à sa femme, Florentine. « Pis r’mercie-moé, étant donné qu’tu s’ras pas obligée d’laver lé draps avant de t’coucher à soir. »

 

En passant, sa femme était réellement Florentine, et non pas Adélaïde. Je le spécifie, car pour les étrangers, ce n’était jamais très évident de savoir qui était qui par rapport à ce statut.

 

Mais pour en revenir au soutien moral de mon père à sa tendre épouse, l’on conviendra à tout le moins que ce comportement généreux joignait l’utile à l’agréable !

 

Et puis, d’autre part : pourquoi ne pas abattre cette besogne dans un box de bovins, tout bien considéré ? Il n’y avait rien à craindre de toute façon. La sage-femme, c’est-à-dire ma tante Victorine, toujours elle, était d’une compétence inégalée dans les accouchements de style new age. Elle était en outre secondée de ma sœur, Lucienne, qui avait 16 ans à l’époque, et qui en avait déjà vu bien d’autres. Par ailleurs, si des imprévus survenaient, mon paternel, qui s’y connaissait en mises bas, s’étant personnellement occupé de celles de toutes ses vaches, était là en réserve, en même temps qu’il veillait sur Adélaïde. Et puis, finalement, le fait le plus important, sans nul doute : cet événement se déroulait sous les auspices divins d’entités spirituelles ayant l’entière confiance de ma tante Victorine.

 

J’ai fait ça comme un grand, du reste. Sans aucune complication. Tout a été rapidement accompli. Comme dans du beurre. Nickel chrome.

 

C’est une fois parvenu à l’air libre que les choses ont pris une étrange tournure. Après s’être assuré que Jesse se portait bien, et en se penchant vers moi, mon père est tombé à la renverse. Idem pour tout le reste des témoins présents dans l’étable. Ils s’étaient certes tous attendus à quelque chose de spécial me concernant, cela ayant été préalablement prophétisé par ma tante Victorine qui l’avait annoncé longtemps d’avance, sans toutefois connaitre la teneur exacte de ce qui allait se produire. Mais personne, pas même elle, ne s’était doutée de cette surprise-.

 

Mon père a réagi le premier. Il a couru jusqu’à la maison, tout excité, et il est revenu avec un Polaroid dans ses mains. Cet appareil était un luxe qu’il s’était jadis offert pour tirer le portrait de chacun de ses bovins. Ce coup-ci, il s’en est servi pour immortaliser ce mémorable et surnaturel phénomène à l’aide d’un cliché de Jesse et de moi, couchés côte à côte dans la paille.

 

C’est moi qui ai hérité de cette photo noir et blanc au cours des années, je ne sais plus par quel concours de circonstances. Elle est rangée dans un tiroir de mon petit bureau personnel. Et chaque fois que j’y jette un regard, je ne peux que donner raison à tous ces gens qui ont été sidérés, ce matin-là, en me contemplant dans l’étable. La ressemblance était en effet terriblement frappante.

 

Jesse et moi étions littéralement deux frères siamois. J’exagère, bien sûr, mais à peine. En fait, il ne manquait qu’une queue sortant de mon cul pour que l’illusion soit parfaite. Mon oncle Tancrède, le frère cadet de mon père, le rigolo de la famille, a toujours prétendu pour sa part que Jesse avait une queue en trop pour être considéré comme mon jumeau identique. Ce qui revient au même, sans doute, même si j’y vois, moi, une subtile différence.

 

Mais peu importe, car en ce qui avait trait aux détails faciaux, tout était conforme. Il ne restait qu’à me poinçonner l’oreille pour que j’intègre officiellement le cheptel de la ferme familiale.

 

Les années ont un peu et heureusement atténué ces particularités physiques dont la nature m’avait affublé au matin de mon apparition dans le monde, mais jamais assez, et tant s’en faut, pour m’avoir permis de jouir d’une existence normale. Je raconterai en temps et lieu tous les déboires que cet aspect corporel m’a fait vivre au fil du temps ; à l’école, notamment ; mais pas juste là.

 

Pour le moment, je n’en ai pas terminé avec les circonstances de ma naissance. Et il y aurait même lieu d’attacher sa tuque avec de la broche pour la suite des choses, car ma tante Victorine fait encore partie prenante du reste des explications.

 

Cette femme aux multiples facettes, en plus d’être un médium extralucide à temps plein et une sage-femme occasionnelle, était aussi une astrologue chevronnée. Sa renommée n’était certes peut-être que régionale, précisons-le, mais elle était secrètement respectée à l’intérieur de son territoire par les habitants superstitieux qui venaient régulièrement la consulter. Au grand dam du curé du village qui la vouait pour sa part aux flammes de l’enfer.

 

Tout ça pour dire qu’aussitôt que Jesse et moi avons été déposés, indemnes, contre nos mamelles maternelles respectives, elle s’est retirée un peu à l’écart et elle a entrepris de monter immédiatement ma carte du ciel. Et c’est là qu’elle en est tombée à la renverse une deuxième fois. Il y avait de quoi.

 

Lorsque j’ai eu atteint l’âge de comprendre plus ou moins ce genre de concepts, tante Victorine m’a enseigné quelques rudiments d’astrologie. Et c’est à ce moment que j’ai appris que Jesse et moi avions exactement le même thème natal, et ce, à la virgule près !

 

« — Comme de juste, mon petit », m’avait-elle patiemment expliqué. « C’est normal puisque vous êtes nés tous les deux au même moment et sur le même lieu géographique. Toutes vos planètes se retrouvent de ce fait dans les mêmes signes, vos maisons sur les mêmes degrés, et vos aspects planétaires disposés selon les mêmes angles. »

 

« — Ah bon… » avais-je alors répondu les yeux ronds comme des billes, en n’y comprenant rien, mais en sentant intuitivement que j’avais entendu quelque chose de stupéfiant.

 

Les astrologues amateurs et professionnels, pour qui tout cela est toutefois d’une plate évidence, doivent sûrement pousser un soupir de lassitude en cet instant, et se demander où je veux en venir.

 

Je veux en venir à ceci.

 

Jesse, le veau, et moi, l’enfant-bœuf, étions tous les deux Taureau, ascendant Taureau ! Il y avait de la magie là-dessous, non ? Il s’agissait à tout le moins d’un authentique message supraterrestre, pour reprendre le vocabulaire hermétique de tante Victorine.

 

Quant à la théorie stipulant que la vache favorite du dieu Krishna se soit incarnée dans mon corps après toutes ces centaines d’années, cela provenait – m’avait-elle expliqué – de mes nœuds nord et sud respectivement en trigone et en sextile avec ma part de fortune, elle-même en carré avec ma lune noire. Ce qui présageait un karma des plus extraordinaires, parait-il.

 

J’arrête ici, car je suis conscient que ça devient un peu compliqué. Et je confesse que moi-même je n’y ai jamais compris grand-chose en astrologie.

 

C’est quand même pour toutes ces raisons, finalement, que je disais au début de cette histoire, que j’étais une entité transcendante humano-ruminante.

 

Et que mon destin s’annonçait fabuleux à bien des égards.

 

◊◊◊

 

J’étais le sixième et le dernier venu d’une fratrie de deux frères et de trois sœurs qui m’avaient déjà précédé dans cette maison. D’après ce qu’on m’a raconté, ma naissance s’est en outre avérée un véritable miracle.

 

Il en est survenu deux, miracles, en fait, ce matin-là, pour tout avouer, me concernant.

 

Le premier tient au fait que ma mère n’est pas morte en couches en me mettant au monde, et que je suis né vivant, moi aussi, et en bonne santé – du moins si l’on garde mon aspect physique sous silence. Et du coup, si ce n’était de l’émoi que j’avais provoqué du fait de ma ressemblance avec Jesse, l’on serait même passé rapidement à autre chose tellement l’événement a été banal.

 

Le deuxième prodige a trait à ma fécondation, qui ne peut s’expliquer par aucune cause naturelle.

 

Tout cela exige des clarifications, j’en suis conscient. Je dois néanmoins prévenir que celles-ci relèvent cette fois de la métaphysique pure. Je n’y peux rien.

 

◊◊◊

 

Ma mère était dotée d’une santé excessivement fragile. Chaque accouchement était de ce fait susceptible de la faire replonger vite fait dans ses origines divines, c’est-à-dire, comme le mentionne un passage de la Bible : de la transformer illico en la même poussière que celle de laquelle elle était née.

 

Mais bah, ce n’était pas si grave que ça, éluderait-on aujourd’hui avec un geste désinvolte de la main. J’entends : pour éviter le danger qu’elle meure en couches, il aurait simplement fallu traiter le problème en amont et que mes parents adoptent un moyen de contraception afin d’empêcher que les spermatozoïdes de l’un fertilisent les ovules de l’autre.

 

Facile à dire.

 

Je rappelle que je suis en train d’écrire le récit de ma vie, et que celui-ci se déroule, du moins en ce qui a trait à ma naissance, dans les années 50, sur une misérable ferme de la campagne profonde du Québec profond. Je garderai le nom de cette région sous silence afin de ne pas éveiller d’éventuelles susceptibilités. De toute façon, l’ensemble de toutes les campagnes profondes du Québec profond de ces années-là était affublé des mêmes tares sociologiques, à peu de choses près.

 

Dans cette optique, et pour bien mettre les choses au clair avant de poursuivre, je fais un petit topo rapide de la situation générale des géniteurs de ma famille en utilisant un vocabulaire qui ne laissera aucune équivoque.

 

Nous avons donc affaire ici à deux personnes – mes parents – qui étaient analphabètes, qui étaient incultes, qui étaient pauvres de chez les pauvres, qui trimaient dur dans des conditions extrêmes, et qui étaient plus ou moins isolés dans leur cambrousse, le plus proche voisin se trouvant à un kilomètre. Deux personnes qui, en plus, étaient régentées par le curé du village qui faisait sa visite paroissiale mensuelle en brandissant son doigt accusateur vers le ventre de ma mère chaque fois que celui-ci se retrouvait aussi plat que le plancher de la cuisine.

 

J’ajoute à cela que la relation amoureuse de mes parents ne tenait la route que grâce à la dictature brutale de l’élément masculin de ce couple et à la soumission résignée de son opposée. Conséquemment, si la bagatelle, par exemple, n’avait pas lieu pour une raison ou pour une autre derrière la porte de leur chambre à coucher, l’élément masculin en question défonçait alors les murs de ses deux poings et de ses deux pieds, en frappant ma mère et ses enfants au passage, afin d’évacuer autrement l’énergie spirituelle de sa kundalini.

 

Bref, nous étions à des années-lumière des petits films romantiques hollywoodiens et de la pilule anticonceptionnelle. Qui n’a d’ailleurs fait son apparition, celle-là, que plusieurs années après ma naissance.

 

Pour résumer la situation, je qualifierais le degré de raffinement de notre maisonnée de… rustique, disons. À la limite de l’homme de Cro-Magnon. Sinon aux frontières du Moyen-âge, gros max.

 

J’en reviens à la solution farfelue des moyens contraceptifs qui auraient pu être utilisés à la fin des années 50 dans notre campagne profonde.

 

Pour soulager mon père sans mettre la vie de ma mère en danger, ces deux êtres, dont le niveau intellectuel était extrêmement réduit, je le rappelle, n’auraient pu en disposer que d’une poignée le cas échéant. Mais ils leur étaient tout à fait inconnus – j’étais pour écrire « incongrus » –, ou carrément impossibles à envisager dans leur quotidien intime.

 

En l’occurrence, parmi ceux-ci, il y avait :

 

L’abstinence... C’était justement ça, le problème !

La capote… Le magasin général du village le plus proche ne tenait pas cette sorte de marchandise en stock – ou elles étaient toutes confisquées par le curé ; mais qu’à cela ne tienne, mes parents, qui n’avaient jamais entendu parler de cet objet de toute leur existence, n’auraient jamais réussi mentalement à associer sa forme à sa destination.

La méthode Ogino… Qui est-ce, lui ? Un scientifique de la NASA ?

Le contrôle des températures… Nous n’avions pas de thermomètre à la maison ; et de toute façon, mes parents ne savaient même pas compter jusqu’à dix.

Le coït interrompu... Ah, ben là, super ! Une suggestion extrêmement ingénieuse, que celle-là, oui ! Une vraie trouvaille ! Bravo ! Génial ! Une belle récompense à son inventeur !

 

Dans la foulée, il aurait en plus fallu envoyer le cureton se faire foutre – sans jeu de mots ; ce qui aurait équivalu de facto à un aller simple directement en enfer pour tout le monde : pour mes parents eux-mêmes, évidemment, ainsi que pour leurs enfants, sans oublier toute leur descendance jusqu’à la cent dix-huitième génération. Ce qui représentait la punition la plus effroyable pour tous les sous-éduqués de cette branche de la société, qui étaient religieux jusqu’à l’extrême limite de la superstition.

 

En passant : quelle saloperie que la sexualité, lorsqu’on la considère à ce degré basique, non ?

 

Mais bon : de quoi je me plains ? La majorité des familles campagnardes de cette époque comprenaient entre dix et vingt gamins et vivaient dans des cabanes aussi exigües, sinon pires que la nôtre. À seulement huit dans notre cambuse, nous nous prélassions, nous, de notre côté, dans un véritable Club Med.

 

Cela dit, je reviens à mes moutons.

 

Et puis, j’avais promis des trucs surnaturels. Je ne les oublie pas.

 

 

VOUS DÉSIREZ CONNAITRE LA SUITE

DE LA VIE DE BILLY LEBOEUF AVEC SON VISAGE DÉFORMÉ

ET DE SA DYSFONCTIONNELLE FAMILLE ?

 

 

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08/02/2025
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