Yvan Hamel auteur

Yvan Hamel auteur

Extrait --- Destins gravitationnels

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 (page 25)

 

 

GASTON

 

LE TROP-PLEIN

 

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Cette nouvelle eut l’honneur de remporter le premier prix au Concours de littérature Clément-Marchand de la Mauricie et du Centre-du-Québec de 2008.

 

Ce matin-là, tout en déboutonnant mon manteau, je jetai un regard machinal sur l’horloge de la salle, en haut, sur ma gauche. 8h00, constatai-je en secouant la tête d’incompréhension. J’avais même quarante-cinq secondes d’avance. Le temps de me rendre à mon bureau et je m’assoirais encore pile à l’heure. Voilà quelques semaines, j’aurais retiré un fort sentiment de contentement – voire d’orgueil – par rapport à cette formidable ponctualité. Mais en ce moment, j’infléchis plutôt davantage les épaules.

 

« — Bousculez un peu votre horaire », m’avait suggéré mon thérapeute lors de ma dernière consultation. « Des petits riens, pour commencer… »

 

J’avais donné suite à ce conseil, même si cela n’avait été accompagné d’aucun enthousiasme. Ainsi, cela faisait trois matins que je quittais exprès mon logement avec cinq minutes de retard. Juste pour tenter de modifier un peu mon rythme de vie.

 

« — Toute initiative de ce genre, aussi minime soit-elle, vous aidera à progresser… »

 

Mais les événements jalonnant la route entre mon domicile et mon lieu de travail s’étaient sans cesse concertés de façon magique, aurait-on dit, pour rétablir vingt années d’une routine matinale inflexible. Je n’y comprenais rien.

 

J’enfilai le couloir de paravents qui menait jusqu’à mon bureau.

 

— Bonjour, Gaston ! me salua Jasmine, la secrétaire de direction, avec son entrain habituel.

 

— Hmm… répondis-je sans même tourner la tête.

 

Encore de bonne humeur, la Jasmine ! Une façade, évidemment. Une vieille fille de ton âge toujours enjouée, cela n’existe que dans les films au romantisme suranné. Sinon, tu en prendras conscience un jour ou l’autre, ma pauvre femme. Une question de temps, tout simplement. Un de ces quatre, tu te regarderas en pleine figure dans la glace, comme je l’ai fait moi-même, et tu ne seras plus en mesure de retenir tes larmes. Je ne veux pas te faire peur, ma chère, mais c’est inéluctable. Prépare-toi.

 

En passant, je remarquai de nouveau l’absence de Latour, le directeur de la boite. Jamais là, bien sûr, pour donner l’exemple de la ponctualité. Pas étonnant que tes troupes soient si peu productives, patron de pacotille !

 

 

Jamais je ne m’étais auparavant permis le moindre écart de langage à l’égard de qui que ce soit ; et encore moins envers l’autorité. Les insultes à l’endroit de mon entourage s’étaient pourtant et subrepticement immiscées dans mes monologues intérieurs au cours des derniers mois. Cela avait commencé un matin, alors que j’étais particulièrement fatigué. Mon raseur de voisin de bureau, Barnabé, m’avait lancé une sempiternelle blague insignifiante. « Ta gueule, imbécile ! » lui avais-je tout à coup balancé avec exaspération. Pas de vive voix, évidemment : juste dans ma tête. Mais depuis lors, j’invectivais – mentalement – à peu près tout le monde de la même façon.

 

Et pour me donner raison quant au comportement de notre patron, je notai que les trois quarts des cubicules, au milieu desquels je marchais pour parvenir au mien, étaient vides, comme d’habitude. Bande de fraudeurs ! m’écriai-je à l’intention des absents. Tous des fraudeurs, oui !

 

La preuve s’avérait pourtant simple à établir mathématiquement. Dix minutes de retard, plus le temps, ensuite, d’enlever leur manteau, de se rendre à la machine à café, d’y revenir, d’ouvrir les ordinateurs, de commenter les émissions de télévision insipides de la veille par-dessus les paravents… Total : trente minutes perdues tous les matins pour chacune de ces personnes. Plus de deux heures de salaire dérobées aux contribuables, par semaine et par tête de pipe. Quel manque de respect ! De l’indécence ! Du vol pur et simple !

 

Le gros Marc Jodoin ne releva pas la tête à mon passage, trop absorbé par la lecture de son quotidien. Est-ce vraiment la place pour lire ton journal ? lui lançai-je silencieusement tandis que je marchais devant lui. Tu es au boulot, ici. Au boulot ! Tu m’écoutes, Jo­doin ?

 

Rien à faire : l’homme maintenait son regard rivé sur les nouvelles du sport. Ses joues flasques touchaient presque les résultats du hockey. Payé à lire un journal ! me scandalisai-je de nouveau, en poursuivant mon chemin. Quelle honte !

 

Et voilà l’autre fainéant, maintenant, qui observe les gens en train de déambuler cinq étages sous sa fenêtre, le café à la main ! Pourquoi ne descends-tu pas directement à l’extérieur pour te mêler à cette foule qui semble tant te fasciner, Lacoursière ?

 

— Salut, Lagaffe ! entendis-je juste avant de parvenir à destination.

 

— Hmm…

 

J’étais accueilli tous les matins, invariablement, par ces deux mots assommants lancés par Barnabé, mon casse-pieds de voisin. C’était le début d’un calvaire que j’avais de plus en plus de mal à supporter. Barnabé était rémunéré, aurait-on dit, pour verbaliser des inepties à longueur de journée. Et le pire était qu’il se prenait vraiment pour l’amuseur public numéro un du bureau. Lors d’une consultation, j’avais avoué à mon thérapeute que j’étais en train de devenir fou à cause de lui.

 

« — Branchez des écouteurs à votre téléphone, et laissez-vous bercer par votre musique préférée », m’avait-il suggéré. « Vous ne l’entendrez plus. »

 

Ce que je faisais depuis ce temps. Sans aucun succès, toutefois, car Barnabé s’acharnait quand même à me harceler de façon périodique, en me relançant directement dans mon antre et en me forçant à retirer les écouteurs de mes oreilles.

 

— Ça n’a pas l’air d’aller, mon Gaston ?

 

— Hmm…

 

Je ne suis pas ton Gaston, stupide animal !

 

Je rangeai mon déjeuner – un sandwich aux œufs, deux cornichons, un jus de légumes – dans le deuxième tiroir de mon bureau, je mis mon ordinateur sous tension, l’enlevai mon manteau et mes caoutchoucs, et je réajustai le nœud de ma cravate. Une fois assis, je jetai un coup d’œil dans mon agenda, dans lequel rien n’était annoté, bien sûr.

 

Le vide existentiel de mon horaire signifiait que j’allais compiler des statistiques pendant toute la journée, comme d’habitude. Les pages blanches de mon petit cahier spiralé m’apparurent d’une platitude toute particulière en ce moment. Pourquoi cette impression, tout à coup ? Depuis vingt ans qu’on me fournissait un agenda, année après année, jamais je n’y avais inscrit la moindre ligne. Je le gardais néanmoins ouvert sur mon bureau, et je le consultais tous les matins, inlassablement. Le non-sens de cette activité se révéla soudain évident à mon esprit. Cela faisait probablement partie de mon processus.

 

« — Vous traversez une période de remise en question », m’avait appris mon thérapeute ; sans toutefois me spécifier de quel ordre. 

 

 

CET EXTRAIT VOUS A-T-IL DONNÉ LE GOÛT DE PRENDRE CONNAISSANCE DU RESTE DE LA JOURNÉE DE GASTON AINSI QU'UNE PARCELLE DE VIE DE 10 AUTRES PERSONNAGES ?

 

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19/04/2025
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